Les paysages de Normandie : bocage, plaine, forêts et marais

L’image classique de la ferme normande à la maison de colombage et au toit de chaume, cachée dans une cour plantée de pommiers où paissent des vaches, est le plus souvent tirée, pour les besoins d’un tourisme standardisé, du seul répertoire augeron. Tout aussi normandes cependant, et souvent aussi belles, la ferme cauchoise où les hêtres et les fossés remplacent les haies autour de la cour, les grandes exploitations de la plaine de Caen ou de l’Eure dont les bâtiments se referment sur une aire étroite, les fières demeures du Bessin aux cours propres comme des laiteries et les modestes fermes du Bocage dont les pauvres bâtiments se dispersent entre les pommiers et les poiriers des « plants ». Rien, mieux que les demeures rurales, ne souligne la variété des campagnes normandes. Mais le contraste le plus frappant oppose les plaines aux pays de bocage.

Le bocage normand

A l’ouest d’une ligne qui passe par Bayeux, Caen, Argentan, Sées, partout des haies vives, sur un relief souvent mouvementé, entourant chaque parcelle de labour ou de prairie, fragmentent le paysage en une marquetterie verdoyante qu’on peut découvrir soudain au détour d’une pente ou d’un de ces points élevés qui ombrent l’horizon de leurs silhouettes trapues : mont Pinçon (Calvados), mont Robin, mont Castre (Manche), forêt d’Ecouves, talus de la Coulonche (Orne). Là domine le Bocage. Les exploitations, souvent de petite taille (de 10 à 25 ha) se dispersent dans des hameaux, appelés «Villages », tandis que quelques bourgs regroupent, autour d’une place de marché, services et commerçants (ainsi : Littry, Bény-Bocage, Briouze, Périers, La Haye-Pesnel…).
Dans le nord de ce domaine toutefois, une nuance importante : de Bayeux à Valognes, dans le Bessin et dans le Plain, le Bocage se divise en parcelles plus vasies, exclusivement herbagères; les exploitations de grande taille sont plus fréquentes, leur architecture (le pius souvent du XVill° siècle) et leurs matériaux (pierre calcaire et ardoises) plus recherchés. Plus à l’est, après de vastes intermèdes de campagne découverte, le Bocage se rencontre encore dans le pays d’Auge que prolongent vers le sud l’Ouche et le Perche, enfin, sur les confins orientaux, dans le pays de Bray.

Les plaines normandes

Contrastant avec les bocages qui la cernent, la plaine de Caen est au contraire le type même de la plaine découverte. Les haies ne se rencontrent qu’autour des villages ou dans les vallées. Le labour l’emporte totalement sur ‘herbage dans de vastes parcelles remembrées depuis peu et qui constituent des exploitations importantes (de 30 à 120 ha). Modelé sur un relief de plaine très faiblement ondulée, l’horizon est très largement ouvert, fragmenté seulement, ici et là, par quelques bosquets, l’ombre verdoyante d’un village bien groupé, ou la silhouette massive d’une grosse ferme isolée. Avec quelques nuances, les plaines du Vexin, du Neubourg, d’Evreux et de Saint-André, dans l’Eure, présentent le même paysage découvert. Mais, au nord de la Seine, le pays de Caux est plus original. Là, en effet, mêmes étendues de labour, même monotonie du relief, mais ces vustes espaces découverts s’animent d’une multitude de quadrilatères boisés qu’on prendrait vite, surtout lorsque les arbres sont bien en feuilles, pour des bosquets, mais qui sont en réalité des fermes, dont les bâtiments se dispersent dans une vaste cour plantée à l’abri d’un « fossé » de terre que surmonte une double rangée d’arbres de haut jet.

La forêt et le marais normands

Entre les campagnes découvertes et le Bocage, deux autres paysages s’insèrent parfois : la forêt et le marais. Rares en basse Normandie (forêts de Cinglais, de Cerisy, de Saint-Sever, d’Ecouves), les grands massifs forestiers s’étendent surtout sur les terrains les moins riches de la Haute-Normandie, en trois domaines principaux : dans l’Eure, sur les sols ingrats des confins de l’Ouche, souvent gréseux, jamais limoneux (forêt de Breteuil); sur les alluvions anciennes de la vallée de la Seine où les forêts de la Londe, de Roumare et de Brotonne couvrent les lobes convexes des méandres; enfin, dans les confins orientaux de la province, là où manque le limon sur les parties les plus élevées des plateaux hauts normands (forêts de Lyons, d’Eu, d’Arques, d’Eawy). Par ailleurs, d’assez vastes étendues de marais ont été conquises, surtout depuis le XVIlles., sur les alluvions récentes des régions basses les plus mal drainées. Le marais de la basse Seine, ceux de la Dives à l’ouest du pays d’Auge et les marais du Seuil du Cotentin (marais de Gorges, de Carentan, de la Sangsurrière…) sont encore baignés chaque hiver par les eaux, mais, découverts à partir du printemps grâce à un réseau de drainage plus ou moins bien entretenu, leurs pâturages sont alors occupés par des troupeaux d’embouche.

On comprend aisément la répartition des marais et des forêts auxquels on peut joindre les quelques taches de landes subsistant à l’ouest de la Normandie (Lessay, la Hague). Dérivés directement des formations naturelles, la forêt, la lande et le marais ont reculé devant les vagues de défrichement pour ne plus subsister que dans les endroits les plus médiocres. Face à ces formations reliques, le bocage et la plaine, paysages construits par l’effort paysan, s’inscrivent comme la marque d’une domestication à peu près complète du sol normand. L’explication de leur répartition reste cependant très hypothétique et l’origine du paysage cauchois, unique en son genre, est une véritable énigme. Sans les expliquer totalement, la variété des conditions naturelles et l’histoire rurale n’en permettent pas moins de mieux comprendre les paysages ruraux de Normandie.